Pérégrination Irisée

Dans des temps immémoriaux, même dans les mondes les plus merveilleux il pouvait arriver des drames.

Ecrite en 2002.

 

 

    Et enfin, pour ce petit monde,    
    Tout commença dans le chaos,    
    Sombre et froid, dans cet infiniment grand.    
    Une explosion enflamma les ténèbres,    
    S’ensuivit une détonation terrible et profonde,    
    Déchirant l’espace, le temps et le chaos.    
    Propulsant le petit monde noir, inexorablement,    
    Vers les confins où il sera libre.    
    Sa substance tellement noire qu’elle en était inféconde.    
    Puis la lumière éclatante transperça le chaos,    
    Son coeur réchauffé pour devenir vivant.    
    Les couleurs se répartirent en un parfait équilibre.    
    Une ère nouvelle naquit.    
    En bas, l’Ombre calculait le temps qu’il restait.    
    Haut dans les cieux, la lumière pure s’en échappait.    
    Quelque part, le premier être naquit,    
    Dans cette gigantesque sphère idéale,    
    Il avait, à l’est, l’herbe et, à l’ouest, les montagnes cuivrées.    
    Il avait, au sud, les dunes et, au nord, les empires d’eau salée.    
    Féon Shinum explora très lentement cet univers maternel.    
    Puis il s’évanouit dans les légendes mythiques...    

    Quelques générations plus tard...    

    La lumière chaleureuse se réfléchissait dans les petites gouttelettes du matin posées délicatement sur les feuilles des arbres. Dans cette
atmosphère, ces géants semblaient flotter sur l’herbe, étincelants d’argent et d’or.     
    Avonis revint tranquillement de sa promenade dans le grand jardin. Sa roue aux gigantesques plumes émeraudes, parsemée de taches bleues, avait l’éclat d’un miroir. Derrière lui, l’herbe se redressait sous la pression de ses petites pattes crochues.    
    D’une blancheur divine, Cyna descendit du haut balcon du domaine. Ailes déployées, elle alla rejoindre Avonis. Elle plongea son regard violet cerclé de noir dans ses yeux verts. Puis, délicatement, elle posa sa tête sur son torse puissant. De petites traînées de lumières glissèrent sur leurs corps mêlés, en provenance d’un petit lac à proximité.     
    à fleur d’eau, un oiseau gris, aux yeux brillants, volait et vint se poser sur l’épaule d’Avonis. Il le prit délicatement et lut le message accroché aux pattes de l’oiseau.

  

Tu es la plus belle,
Toi, mon hirondelle.
Retrouve-moi au centre de notre paradis, Pour faire visiter mon palais gris.

_ Gricertus.

Le petit oiseau gris attendit avant de retourner près de son propriétaire. Son plumage était fascinant, il semblait vibrer de milliers de nuances de gris. Des lignes noires et blanches s’enchevêtraient en arabesques très complexes. Le regard plongea dans ce fin réseau, des petits carreaux noirs et blancs se distinguèrent. Le damier devint immense et, au centre, un individu s’agitait avec frénésie. Tout vêtu de gris, il nettoyait son manoir pour, enfin, s’attarder à sa toilette.

Gricertus vivait seul dans son domaine gris au centre du monde. Il lustrait avec énergie sa peau écailleuse et grisâtre. Une fois vêtu de son plus beau costume noir et blanc, il se contempla longuement dans son grand miroir ovoïde.

- Elle va venir, cela ne fait aucun doute.
Ses yeux à pupille fendue pétillaient. Dans la profondeur grise de ses prunelles

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apparut le salon d’Avonis et de Cyna. Ces derniers étaient en pleine discussion sur leur tapis gris foncé.

Avonis regarda sa compagne et, soudainement, le tapis reprit sa couleur écarlate. Le salon recouvra aussi ses couleurs chaudes.

- Quel message ridicule, déclara-t-il.

- Je prendrai conseil auprès de Karl Maline, en lui envoyant une libellule, conclut Cyna.

Karl Maline était installé confortablement dans un fauteuil rouge sombre.Après un bon verre, il prit connaissance de la situation. Son costume versicolore, très voyant, changea tout doucement de couleur pour approcher celle du fauteuil.

- Comment faites-vous cela ? demanda Avonis, impressionné.

- Tout le monde se laisse surprendre la première fois, déclara-t-il, amusé. Le métacolorisme, ma dernière invention. Certains de nos grands héros avaient les mêmes attributions.
Son regard vairon, jaune et orange, observait à tour de rôle les deux êtres à plumes. Sur son visage peint de noir, ses yeux flamboyaient, hypnotisant Avonis et Cyna.

- Mais vous pouvez faire quelque chose ? demanda-t-elle.
- Je m’y oppose, affirma-t-il. Les luttes ne m’intéressent guère...
- Je tuerai ce vil à ma manière, hurla Avonis, trop sûr de lui. Nous

avons trop perdu de temps.
- Pas trop de hâte, je réfléchissais juste un instant, se rattrapa Karl.

J’ai la solution. Il s’agit de Féon, termina-t-il triomphalement. - Féon ? Comme Féon Shinum ? demanda Cyna.
- C’est de lui que je parle, Féon Shinum, insista t-il. - J’en ai assez entendu, coupa Avonis.

- Mais il a survécu. Il rendra votre amour éternel.

- Il s’agit plutôt d’une légende éternelle, corrigea Cyna. Mais ce n’est pas très sérieux.

- Il est peut-être un peu vieux, avoua-t-il. Je pars à sa recherche au sommet de l’au-delà.

Et il disparut.

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- Karl Maline, vous êtes encore là ?

- La métacolorisme permet aussi l’invisibilité.
Quelques secondes plus tard, la porte claqua comme s’il y avait eu un courant d’air.

- Je vais m’en charger. Gricertus, tu vas goûter à mon sabre, vociféra Avonis.

- échec au roi, hurla Gricertus.

- Cavalier en couverture, rétorqua-t-il à lui-même.
Le gentleman reptilien jouait seul sur son jeu d’échec magnétique qui prenait toute la place dans son salon. L’issue de cette partie déterminerait ses futures actions.

- Le fou se déplace pour prendre la reine, et échec au roi.

- Sapristi ! Je n’ai plus de couverture, s’écria-t-il, interprétant maintenant les pions blancs. Je déplace donc mon roi, révélant ainsi ma tour pour mettre... Echec et mat.

- Ce n’est pas possible ? s’insurgea la partie noire. C’est bien échec et mat, conclut-t-il après l’analyse du jeu.

- Je vais donc me rendre au domaine de ma belle Cyna. Et il quitta le salon.

La belle Cyna chantait dans le jardin mordoré, qui contrastait avec son plumage couleur de neige. Les clapotis du petit lac accompagnaient son chant voluptueux.

- Cyna ? Je suis venu pour toi.
Elle se retourna et poussa un cri sous le regard terrible de Gricertus. Il comprit très rapidement qu’il ne serait jamais aimé de personne, avec ce regard gris. Tout était donc perdu. De son arc noir ébène, il visa Cyna tremblante de peur contre le tronc d’un cerisier. La flèche fendit l’air et se logea dans la poitrine de Karl Maline, apparu mystérieusement. Ses yeux sortirent de leurs orbites. Une légère goutte de sang ruissela de sa bouche et il plongea dans le lac. Son corps flotta un moment, membres en étoile, puis toutes les couleurs de son costume se mêlèrent à l’eau comme si quelqu’un y avait jeté plusieurs pots de peinture. Le mélange des couleurs fut emporté

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dans le courant de l’eau et il ne resta plus rien du corps de Karl.
Aussitôt, une seconde flèche quitta son arc pour se loger en plein

cœur de Cyna. La neige se tacheta de pourpre.
Sabre à la main, Avonis accourut auprès du corps de sa compagne, sans se préoccuper de Gricertus. Ce dernier s’apprêta à l’exécuter à son tour.

Mais un coup de tonnerre fit trembler le sol. Le reptile s’effondra, foudroyé. Féon Shinum s’approcha très lentement du corps carbonisé de Gricertus.

Avonis rescapé, regarda le légendaire Shinum qui s’harmonisait subtilement avec le paysage. Le jeune veuf ne put s’empêcher de plonger dans les yeux dorés, aussi profonds que mille mondes.

Le jeune Avonis mourut de chagrin,.
Protéger tous ces mondes et tous ces destins.
Et bien qu’immortel, je faillis avec notre monde, Laisser cette lourde tâche à ma descendance, Avec comme héritage, toutes nos connaissances. L’herbe, les montagnes, les dunes et la mer Finirent par se confondre.
Avec eux mes souvenirs finirent par fondre.
Léger comme un ange, je voguais dans les airs. Notre univers filait vers le cimetière des mondes...

Puis, pour ce petit monde, tout finit dans ce tourbillon de matière liquide. La petite goutte de pluie termina sa chute dans le ruisseau. Pendant un court instant, elle apporta sa teinte. Et, comme une minuscule goutte de peinture, elle s’évanouit dans le courant de l’eau.

L’arc-en-ciel s’évapora dans le ciel, l’orage était passé. La lumière éclatante transperça les nuages et le soleil se découvrit. Ce monde évoluait à son tour à une vitesse vertigineuse vers les confins où, à son tour, il serait libre.

 

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