Jeunesses d'un Peuple


L'Homme évolue en plusieurs étape de la vie. Il en va de même pour les peuples. Les erreurs de "jeunesse" d'un peuple peuvent-elles être fatales ? Combien de générations faut-il à un peuple pour pouvoir atteindre la sagesse ?

Ecrite en 2000
 

 

    A la manière d’une gangrène ulcéreuse, elle s’étendait doucement, imperturbable et sûre d’elle. La cité futuriste composée de métal, de béton, de verre et de lumières, dominait le continent et écrasait la Nature. Cette dernière était à l’agonie, elle étouffait silencieusement sous la masse technologique.    
    Très haut dans le ciel, un soleil émeraude semblait observer comme un œil vigilant la gargantuesque cité ultra-technologique. Au loin, la gigapole était silencieuse, mais, selon l’orientation du vent, il était possible d’entendre un bourdonnement continu.    
      Au centre de cette surface de métal noir régnait un vacarme infernal : des avions supersoniques décollaient et atterrissaient, des milliers de véhicules volants évoluaient en file indienne à diverses altitudes, des musiques de styles différents sortaient des fenêtres ouvertes des gratte-ciel d’architecture aux traits simples et pesants. Enfin, des voitures roulaient sur le béton noir des avenues parallèles. De là, le ciel n’était plus qu’un gris-jaune poussiéreux.    

    Les Eldearks avaient une morphologie humaine à la peau couleur indigo, aux grands yeux bridés de couleurs variées. Leurs coiffures complexes, courtes ou longues, accentuaient la personnalité de chaque individu, mais  leurs tenues vestimentaires  restaient néanmoins uniformes et de confection simple. Ce peuple était de haute stature, en effet, puisque les plus petits d’entre eux ne mesuraient pas moins d’un mètre quatre-vingt-dix.    
      Les installations vieilles et sales montraient que la cité avait été fabriquée à une époque lointaine. Ainsi, nul ne savait comment cette technologie était apparue et qui était le constructeur des premiers bâtiments.    
      Cette fourmilière technologique fonctionnait comme une horloge bien huilée. Des systèmes d’alarme étaient installés et de nouvelles mesures étaient prises chaque fois qu’un incident survenait. Tout cela pour qu’une poignée d’Eldearks, d’une avidité effrénée, s’enrichissent et se sentent les maîtres de ce monde.    
    Mais comme toute chose trop grande et trop puissante, la massive cité devenu incontrôlable par l’inexperience de ce jeune peuple dans la haute technologie. Ils pensaient dompter cette technologie, mais il n’en était rien. La cité commença à exploser en divers endroits. Les flammes atteignirent les points vitaux des systèmes d’énergie. Tout fut soufflé par la puissance démoniaque de l’explosion de feu, d’eau et de produits nocifs. La terre, ne pouvant soutenir une telle pression, s’ouvrit en une immense fissure. La pieuvre métallique s’enfonça doucement, sans résistance, comme avalée par de gigantesques sables mouvants.    

    Sur la terre morte, un Eldeark courait le plus vite possible afin d’échapper à l’inévitable. Habillé avec élégance, il était probablement un technocrate de la cité défunte, qui sait. Kyb-Jikken partait dans une course désespérée à travers un champ d’herbes noires séchées. Une voix extérieure le hantait :     
      - Ne le lancez pas ! Détruisez-le !    
Kyb-Jikken, déterminé, n’écouta pas la voix qui le suppliait. Il perdait de la vitesse. Gravissant une colline, il trébucha, exténué. Il se mit à genoux pour reprendre son souffle. Dans un ultime effort, il lança de ses mains nues, brûlées par les produits toxiques, un objet de métal argenté de la taille d’une brique. Puis il s’effondra face contre terre, sans vie.    
      Vu de
la colline, le paysage mort révélait une activité antérieure. L’ancienne cité n’était plus qu’un reste de ruines de plaques de béton lézardées comportant des inscriptions de poèmes ou de formules scientifiques. Sur un morceau de béton, une inscription était encore lisible : “La vanité peut être source d’une vanité”. Un tuyau métallique percé déversait de l’eau dans la nouvelle gorge comme une immense clepsydre. Le reste du paysage n’était plus qu’une terre de désolation : les fleurs étaient sans pétales, l’herbe était brûlée et un arbre noir sans feuille bougeait lentement sous le vent.    
    Tout sembla se figer, les traits devinrent plus marqués, les couleurs plus ternes et poussiéreuses. Un cadre entoura l’image.    
      Ceci n’était qu’une légende, mais ce tableau était-il vrai ou faux ? Car ce drame se serait produit il y a plusieurs milliers d’années. Certains disaient que c’était ce
Kyb-Jikken qui l’aurait peint et qu’il serait toujours vivant. Les textes pouvaient parfois être trompeurs, il était même possible de remettre en cause son existence.    
      Personne ne se souvenait du nom de cette cité construite par les Eldearks. Certains l’appelaient Octopylone pour son côté malfaisant comme la pieuvre, ou Illusis, la rendant ainsi mystique. Enfin, pour quelques optimistes simplistes, pensant qu’elle était la référence, son nom était Cristalis.    

    Au fond d’un couloir d’architecture médiévale était accroché ce fameux tableau. Soudain, une porte automatisée, taillée dans l’épaisse pierre noire, s’ouvrit. Deux personnes en sortirent et poursuivirent leur conversation commencée dans l’ascenseur :    
    - Laster, écoute-moi. C’est de la folie.    
                                                                                                       - On en a assez parlé, il faut que je travaille.                     

Il tapa sur les touches d’un écran de contrôle. Une voix féminine digitalisée déclara :                                                           - Bonjour ! Monsieur Laster-Lone.

La porte se referma derrière lui. Pan-Waziya n’avait pas réussi à convaincre son frère, il repartit vers l’ascenseur :

- Laster est fou. Il faut absolument que je sache ce qu’il projette de faire.

Dans son siège, Laster-Lone était concentré sur son ordinateur. Des motifs et des chiffres lumineux se reflétaient sur son visage d’un teint bleu pâle. Il sursauta :

- Que fais-tu, Laster ?       

- Je t’ai déjà dit de porter une puce de présence. Néanmoins ravi, il lui expliqua :

- Je peux maintenant discuter avec toute la planète.

- Oh ! Et où sont-ils sur la carte ?
- Ici.
- Parfait, à plus de mille kilomètres d’ici...

- Avec le réseau informatique, je peux tout faire en virtuel. Pan-Waziya rétorqua tout bas d’un ton moqueur :

- Super intéressant. Il poursuivit.

- Je vais boire un verre, cela fait quatre heures que tu travailles. Sors un peu !Voir le monde réel te ferait le plus grand bien.

- Je veux bien faire une pause, s’entendit-il dire.

Le bar était spacieux et très lumineux sous les lasers multicolores. Il y régnait une atmosphère étrange due en grande partie à l’architecture ancienne et complexe qui donnait un contraste étonnant avec cette technologie implantée. D’ailleurs, les gens qui dansaient sur une musique psychédélique et rythmée ne correspondaient pas non plus au lieu. Pan-Waziya déambulait au milieu de tous ces gens en mouvement, et, même s’il ne connaissait personne, il était content d’être là, en contact avec d’autres personnes. Il atteignit le comptoir, s’assit et observa tout autour de lui. Juste à côté était assise une fille aux traits doux et au teint bleu pâle. Elle était très élégante et son regard violet ensorceleur était caché de temps en temps par sa chevelure bleue scintillante.

- Bonsoir ! J’ai remarqué que vous étiez seule...Voulez-vous boire quelque chose ? demanda Pan avec peu d’assurance. Elle répondit, surprise et enchantée que quelqu’un lui parle :

- Je boirais volontiers un Tinn-gu Oretto. Merci.

- S’il vous plaît ! Deux Tinn-gu Oretto. Il se retourna vers elle.

- Je me présente Pan-Waziya.

- C’est joli comme nom, c’est de quelle origine ? demanda-t-elle, intéressée.

- D’une ancienne civilisation aujourd’hui disparue.Waziya veut dire “Pouvoir de la Nature”, je crois.

- Moi c’est Lazy-Viridiana. Et que faites-vous ici ?

- Je me repose et je surveille mon frère, Laster.
Ils discutèrent pendant un long moment et il lui proposa d’aller chez lui; elle accepta.

- C’est immense, chez toi ! déclara-t-elle.

- J’aime beaucoup ce château.
- J’ai remarqué que tu avais une écurie, tu as des chevaux ?
- Non, j’avais un magnifique étalon noir et blanc. Mais il est mort il y a 
quelques temps et comme maintenant il y a des véhicules, je n’ai pas pris la peine d’en reprendre un autre. Installe-toi, je vais chercher quelque chose à manger.

De la cuisine sortit Laster, l’air réjoui :

- Voilà, il va faire un bon gros dodo.
Il arriva dans la grande salle où il aperçut Lazy. Du haut de son mètre soixante- quinze, elle était légèrement plus grande que lui.

- Bonsoir !
Elle se retourna, surprise :

- Bonsoir ! Vous devez être Laster, n’est-ce pas ? Il acquiesça.

- Où est Pan ?
- Il dort. Il ne se sentait pas très bien et il n’a pas osé vous le dire.
- C’est quoi, tout ceci ?
- C’est mon poste de travail.Tout pouvoir faire sans se déplacer, j’ai 
tout conçu moi-même. Il est possible de jouer, de voyager et de faire l’amour avec ces casques. C’est l’avenir, vous savez. Voulez-vous essay...
Elle n’était plus là.

- Laster !... Laster ! Te voilà, que s’est-il passé hier soir ?
Il aperçut son frère assis dans son fauteuil, étudiant des documents techniques.

- Elle est partie, dit-il d’un ton désintéressé. Je voulais rester avec elle, mais elle a vu l’ordinateur...
- ...Tu l’as fait fuir. Quand te décideras-tu à comprendre ?

Il était fou de rage envers son frère.

- Elle était charmante, sympathique et tu l’as laissée partir. Ouvre donc les yeux.
- Pan, je n’en ai que faire. J’ai tout le monde à mes pieds dans le réseau 
et je n’aurais jamais dû te suivre hier, car j’ai perdu beaucoup de temps.
- Perdu du temps ! Pourquoi, Laster ? demanda Pan-Waziya, espérant 
que son frère se trahirait.

- Avec mon royaume technologique, je passe à l’étape supérieure, cria Laster d’une voix triomphante. La cité et cette planète ne feront plus qu’un.

- Non ! Arrête, Laster, tu vas trop vite.

- Trop tard. Le nouveau monde vient de s’accomplir.
Pan-Waziya quitta la pièce en courant, afin de déconnecter la machine infernale.
Subitement, il comprit que le plus dangereux n’était pas Laster-Lone, mais cette technologie d’outre-espace.

Des explosions se firent entendre. Pan arriva au noyau central qui était en flamme. Il se fraya un chemin, débrancha des fils et appuya sur des boutons. Un jet de vapeur le propulsa en arrière; sa tentative n’avait pas servi à grand-chose. Il repartit en courant.

Laster avait quitté la cité, il s’enfuyait le plus vite possible afin d’échapper aux explosions et se réfugier ailleurs. Alors qu’il partait dans une course désespérée, il trébucha, exténué. Une voix retentit derrière lui :

- Laster ! Ne le lance pas, détruis-le ! Il reconnut la voix de Pan-Waziya.

Laster tenait entre ses mains un objet ressemblant à un lingot d’argent. Déterminé, il n’écouta pas la voix qui le suppliait juste derrière. Il se mit à genoux pour reprendre son souffle. Une nouvelle voix retentit un peu plus loin :

- Laster ! Dis-moi que ce n’est pas toi qui a provoqué tout cela ? Ces paroles étaient prononcées par Lazy-Viridiana.
Surpris de sa présence, Laster-Lone ne voulait pas lui avouer sa triste nature. Il appuya sur un petit bouton, quelques secondes se passèrent, juste le temps pour qu’il se noie dans ses yeux violets. Puis la brique explosa en une gerbe d’étincelles. Les deux frères s’effrondrèrent face contre terre, sans vie.

Il ne restait que quelques tours du magnifique château médiéval. Dans un couloir, des fils pendaient le long des murs, les écrans de contrôle explosaient à tour de rôle. Au fond, il y avait toujours le tableau accroché au mur. Le cadre qui entourait l’image s’évapora, puis les traits de peinture disparurent.

L’arbre noir bougea lentement, il reprit sa couleur brune et des feuilles violettes poussèrent. L’herbe brûlée reprit sa couleur indigo, les fleurs recouvrèrent leurs pétales et, enfin, les restes de ce qui fut jadis une cité furent recouverts par une flore volumineuse se nourrissant de l’eau d’un gigantesque lac. C’est ainsi que des milliers d’années passèrent; la Nature avait repris le pouvoir.

L’arbre ressuscité faisait maintenant partie d’une forêt en plein éveil. Au cœur de cette forêt épaisse régnait une atmosphère humide, fraîche et sereine. Les chants des oiseaux de retour renforçaient le réveil de la végétation. Sous les frondaisons, un sentier humide serpentait, formant un tunnel naturel. De la brume légère, une svelte monture noire et blanche chevauchée par un noble cavalier apparut. Ce dernier tira sur les rênes et descendit de son cheval. Il se dirigea vers un objet métallique argenté sortant de la terre humide. Il regarda autour de lui pour voir si son propriétaire pouvait encore se trouver dans les parages, mais il était seul.
Il le prit, commença à l’examiner. Il n’avait jamais rien vu de pareil et commença à se parler à lui-même :

- Pan-Waziya, cet objet va te donner de la puissance, il possède certains mystères de la technologie.

- Sauf qu’il faut la contrôler, Laster, rétorqua-t-il.
- Oui, je vais travailler le sujet. On va être puissants.

Il repartit par le sentier dans une tourmente intérieure confrontant une personnalité avide de pouvoir technologique et sa véritable personnalité, qui, elle, écoutait la voix du contact avec les personnes, de la beauté et de l’amour. Mais il était le dernier à prendre le relais, en espérant que la prochaine civilisation qui vivrait sur ce monde ne renouvellerait pas cette sombre évolution, ou pire.

    
 

 

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