Damu Dai Monogatari
Le Japon ancien est mystérieux. Les sombres guerriers rôdaient dans la nuit et dans la brume la journée. Conte initiatique à la découverte des prémices de l'infection.
Ecrite en 2002.
“Deux lumières sont là
à la manière de deux lunes
Elles glissent vers moi
En mission pour le trouver
Nous protégeant du guerrier”
_ Kaori.
Voilà huit ans que le jeune moine Vidyâ Rin trouva ce tanka, court poème de trente et une syllabes. Pendant tout ce temps, il le garda précieusement, pensant que son sens lui serait peut-être révélé un jour. Mais il était surtout fasciné par ces quelques mots.
Une nuit de printemps de l’année 1810, le jeune Vidyâ Rin se promenait dans l’immense propriété de son père, Maître Rin. Sous la seule luminosité blafarde de la lune, il déambulait dans le bois et passa le reste de la nuit dans la petite cabane au bord du lac. Tout en observant le ciel étoilé, il attendit les deux perles lumineuses aperçues par Kaori six cents ans plus tôt.
Il se réveilla en sursaut et prit rapidement conscience que la matinée était bien avancée. Il traversa la forêt en courant. Son père lui avait recommandé d’être prêt très tôt, car le Seigneur Damû Dai et son second Fûrtsori étaient invités à déjeuner. L’anxiété le gagna, son père allait être furieux.
Il escalada le petit muret avec une extrême agilité. Une fois au sommet, il s’arrêta net. Il se passait quelque chose d’anormal. Des hommes de la garde du seigneur couraient dans tous les sens. Deux moines avec des trousses de soin pénétrèrent à l’intérieur de la demeure. En costume de Cour blanc et jaune, le Seigneur Damû Dai et son second étaient inquiets. Vidyâ se concentra sur la conversation qu’ils échangeaient avec les gardes :
- Il nous faut absolument retrouver le jeune Rin. Car s’il est encore en vie, il sera sa prochaine cible.
- Seigneur ! Nous allons constituer un petit groupe pour sillonner la forêt, déclara le chef des gardes.
- Alertez également tous les hommes de la contrée pour mener les
recherches.
- Bien ! Seigneur Damû Dai.
Fûrtsori salua le chef.
Alors que le jeune moine allait se montrer afin de signaler sa présence, il sentit un regard ténébreux qui le foudroya. Il observa l’orée de la forêt où une silhouette voilée se dérobait. C’était lui. Le jeune Rin partit d’un bond dans la direction opposée et enjamba chaque buisson à la manière d’un athlète sautant des haies.
Il s’arrêta, essoufflé. Il se retourna et remarqua qu’il avait franchi depuis longtemps la limite la plus éloignée qu’il avait pu explorer. Que pouvait-il bien faire ? Il se retrouvait livré à lui-même et au pire ennemi qui pouvait rôder dans la forêt.
Il avait pour seule arme le petit sabre que son père lui avait offert. Il avait aussi dans sa poche l’ancien tanka gravé sur une écorce de cerisier.
Vidyâ marcha toute la journée. Il avait repris des forces en volant des fruits, des légumes dans les jardins des paysans et de quoi allumer un feu. La nuit tombée, il s’endormit à côté des braises.
Quelque part dans la forêt silencieuse, la nuit devint oppressante. Seul un souffle profond résonnait. à travers la clarté blanchâtre de la lune, de la vapeur propulsée sous l’impulsion de chaque respiration sortait de deux puissants naseaux. Un cavalier mystérieux rôdait. Sa silhouette avait la taille d’un dragon. Sa redoutable cuirasse luisait légèrement par endroits, révélant la terrible armure des samuraï.
Loin de là, au beau milieu d’une clairière, faiblement éclairées par des flambeaux, se dessinaient comme dans une vision les forteresses d’un manoir. Dans la grande salle, le Seigneur Damû Dai avait réuni ses meilleurs samuraï. Lui et son second irradiaient d’une paisible clarté sous la lueur des chandelles.
- En ce cas, que vient-il faire dans nos contrées ? demanda l’un d’eux.
- Il est là pour le pouvoir, répondit froidement Damû Dai. Il est rempli de haine et de colère. Et ne laisse que la mort derrière lui.
- Est-ce un rônin, un samouraï solitaire ? demanda un autre.
- Possible. Mais il se pourrait que son Seigneur soit le Diable lui-même. Il ne saurait lui manquer de respect et accomplira sa volonté, comme tout vassal.
- Et connaissez-vous son nom ? reprit le samouraï.
- Chô Funshi.
Les rayons du soleil faisaient de grandes traînées de lumière à travers les arbres de la forêt, dans l’humidité du matin. Pour la plupart des gens, c’était un jour comme les autres. Mais, pour Vidyâ Rin, il s’agissait du troisième jour depuis qu’il avait fui sa maison.Au cours de son errance, il avait eu vent, dans une auberge, de l’insoutenable nouvelle : son père avait été sauvagement tué par le sinistre samuraï Chô Funshi.
Désemparé, le jeune orphelin avait retrouvé un peu de courage après avoir appris d’un grand voyageur l’existence d’un vieux moine. Ce dernier avait une grande connaissance de l’histoire ancienne et des légendes. Mais surtout des Dons Naturels et des énergies. Cela lui permettrait d’en apprendre un peu plus sur Kaori et Chô Funshi. Il était à présent en chemin pour rencontrer le vieil ermite, et il se promettait de rapporter ces découvertes au Seigneur Dâmu Dai pour en finir avec ce rôdeur ténébreux.
Les jours passèrent. L’ascension de la montagne était très pénible : le terrain était accidenté, la végétation très dense et la pluie ne facilitait pas la marche.Vidyâ Rin, exténué, arriva enfin à la petite maison du moine.
Il frappa à la porte. Aucune réponse. Il insista, frappant un peu plus fort. Toujours rien.Timidement, il tourna la poignée. Et, surprise, la porte s’ouvrit. Il hésita avant d’entrer, car sa parfaite éducation le retenait. Après réflexion, il pénétra dans la pièce.
- Maître Filinorô ? Vous êtes là ? Je suis Vidyâ Rin. Personne ne répondit.
Il commença la visite des lieux. Il y avait des livres partout. Sur le sol étaient éparpillés des poèmes calligraphiés, des notes et des partitions de chansons. Dans un coin, il y avait un grand miroir ovale qui l’observait comme un œil vigilant. Contre les murs, des vieux sabres étaient exposés.
Soudain, Vidyâ sentit une goutte d’eau tomber sur sa joue. Il s’essuya et remarqua avec horreur qu’il s’agissait d’une goutte de sang. Il inspecta avec intensité le plafond. Entre les planches, il aperçut un œil immobile grand ouvert qui le fixait. Il sortit de la maison en courant, terrorisé.
Le jeune moine, en larmes, resta de longues heures assis sur une grosse pierre. Il était désormais seul. Il eut un frisson en pensant que le samuraï démoniaque était certainement passé peu de temps avant lui.
Vidyâ retourna à l’intérieur de la maison en longeant les murs et se blottit dans un coin. Il observa ce lieu qui était devenu lugubre et finit par s’endormir, épuisé.
Il se réveilla en grelottant, alors qu’il faisait encore nuit. Il se sentait perdu et désemparé. Que pouvait-il bien faire ?
Il se leva en se glissant contre le mur, éclairé par la lune qui se reflétait dans le miroir lui faisant face.Après une observation attentive, le reflet lunaire lui révéla des inscriptions qui ne pouvaient être vues le jour. Par quel effet de magie ? Vidyâ Rin commença à déchiffrer :
Le conte de Damû Dai fut ainsi rapporté :
“La mer était agitée.
Pourtant, les phénomènes célestes étaient absents. Les vagues d’assauts s’affrontèrent avec violence. La bataille navale était déclarée,
Entre les deux clans les plus puissants, Taira et Minamoto, avec virulence.
Les bateaux coulèrent un à un,
Et les marées passèrent.
Quelques cadavres venaient s’échouer sur le rivage,
Comme pour échapper à ce cimetière marin.
1185 était gravée. Minamoto Yoritomo avait regagné les terres,
Et sortit victorieux du carnage.
La bataille navale de Dan No Ura était ainsi finie.
Minamoto devint le premier seii-taishogun,
Sacré en 1192 par l’Empereur Gotoba.
Le soleil se coucha et les terres sombrèrent dans la nuit.
C’est à cet instant qu’arrivèrent les deux lunes,
Sous le regard émerveillé de Kaori.
Selon le tanka de cette femme écrivain,
Deux flammes divines furent envoyées par les cieux,
Invocation pour nous protéger des mauvais esprits.
Les rumeurs étaient nombreuses au sujet de ce témoin, Plantes hallucinatoires et mondes imaginaires étaient ses dieux. Elle fut tuée, atrocement mutilée par l’Ennemi.
Tout se dérègla soudainement,
Car le guerrier était là.
Toute personne sur son chemin
Tombait sous sa main.
L’année suivante périt le second de Minamoto,
Sauvagement assassiné, Loynorû franchit La Porte.
était-il un descendant du premier Empereur Jimmu Tennô ?
Le vent souffla, et balaya les feuilles mortes.
Le guerrier des enfers s’évanouit dans des nuées de satin. 1188 pourrait être sa fin par des barbares inhumains.
Les légendes le renvoient dans son repère infernal,
Gardé par huit puissants dragons.
Le vent souffla dissipant les souvenirs.
Son esprit rôde et vole comme un faucon,
Pour se réincarner dans n’importe quel corps,
Revenir sur lesTerres et les Océans et répandre la mort.
Le Vent souffle toujours, le Feu va bientôt mourir...”
Vidyâ Rin continua à lire le récit de Filinorô toute la nuit. Il savait maintenant toute la vérité.
Le lendemain, Vidyâ Rin quitta la maison de Filinorô le plus rapidement possible. Un rayon de soleil fouetta son visage. Il était loin d’être rassuré, mais il détenait les informations qu’il avait tant convoitées. Le jeune Rin plongea dans la forêt.
La nuit venue, le ciel était légèrement bleuté par la lune qui avait retrouvé ses droits. La forêt, quant à elle, était noire et profonde. Le vent s’engouffra dans les arbres, les soulevant et les balançant, flottantes ondulations et murmures fantomatiques. Au milieu de cet océan végétal, comme un volcan endormi, le dragon noir voguait entre les arbres. Silencieux comme le brouillard, Chô Funshi descendit de sa monture.Avec une extrême attention, le samuraï solitaire scrutait les environs. Après quelques minutes d’immobilité, il exécuta quelques mouvements d’arts martiaux. Après cela, sans aucune émotion sur le visage, il s’adossa contre le tronc d’un cerisier et lut quelques pages du livre qu’il gardait toujours sur lui, avant de laisser son corps se reposer. Mais son esprit veillait toujtoujour
À l’aurore, Chô Funshi reprit sa route, après avoir nettoyé soigneusement ses armes de guerre.Allait-il les utiliser aujourd’hui ?
Toujours impassible, il voguait à travers la forêt comme un requin en chasse d’une proie. Lui seul connaissait l’identité de sa prochaine victime.
Au loin, il entendit un cri d’enfant. Sur ses gardes, il s’approcha du lieu d’où il semblait provenir. Entre deux arbres, le fauve cibla un jeune garçon qui jouait dans une prairie. Tout en exécutant des mouvements rapides, celui-ci s’amusait à planter des bottes de foin à l’aide d’un grand bâton, comme s’il s’agissait de puissants ennemis. Soudain, il arrêta son combat imaginaire et se retourna. Le regard du jeune garçon croisa de longues secondes l’œil perçant du samouraï. Puis ce dernier s’évanouit dans la végétation.
Caché dans un buisson,Vidyâ Rin assistait à la scène. Le jeune moine avait retrouvé la trace du rôdeur.Vidyâ vit le jeune combattant reprendre sa lutte avec une puissance féroce.
Le soleil se couchait déjà. Chô Funshi arriva au bord d’un précipice et observa l’étendue de la forêt. Devant lui se dressait une montagne enneigée dans laquelle les enceintes blanches d’une forteresse se fondaient harmonieusement.
- Fermez les grilles ! Et décrétez l’état d'alerte.
- Oui, mon Seigneur, répondit le garde.
- Fûrtsori ! à la première heure, vous déploierez les troupes par groupes de huit armés de fusils. S’il est dans les parages, je ne veux pas qu’il puisse quitter le territoire, ni même qu’il se rapproche.
- Je mets les hommes sur le pied de guerre cette nuit, Seigneur Damû Dai.
- Bien ! Ce samuraï ne va plus terroriser la population longtemps, n’est-ce pas ? Il détourna la tête vers une personne assise à la table.
Dans la nuit enneigée, le samuraï était en pleine préparation.Toutes ses armes furent soigneusement rangées avec son équipement de voyage. Il ne garda sur lui qu’un katana et quelques shurikens. Le reste de son arsenal était sur son cheval. Il s’approcha de l’oreille de l’animal et lui murmura quelques mots. Le cheval s’enfonça au pas dans la forêt.
Il régnait une atmosphère lugubre, malgré l’éclat du soleil. Dans la grande salle, le Seigneur Damû Dai et ses hôtes étaient inquiets. Car, à ce moment précis, était organisée une grande chasse à l’homme. Son issue déterminerait l’avenir.
Un garde surgit brusquement dans la salle.
- Seigneur ! Des hommes sont revenus grièvement blessés.
- Y a-t-il des morts ?
- Aucun.
- Ils vont quand même réussir à l’arrêter ! grommela-t-il. Il regarda
fixement le garde. Ordonnez aux arbalétriers de se poster dans les chemins de ronde.
- Oui, Seigneur !
Le garde ouvrit la porte en bois et, au même moment, il s’effondra sur le sol, raide mort.
Déterminé, un samuraï noir s’élança dans la pièce, katana en avant. Les hôtes, peu aguerris au combat, ne tardèrent pas à tomber les uns après les autres.
L’œil du seigneur scintilla de rage. Il engagea le duel avec haine. Mais, rapide comme l’éclair, la lame de Chô Funshi le foudroya. Une seconde plus tard, la tête du Seigneur s’écrasa sur le carrelage blanc. La seconde suivante, c’était le corps qui s'affaissait dans une détonation assourdissante.
Chô Funshi resta un moment immobile. Une forte odeur de poudre envahissait la pièce. Sur le pas de la porte se tenait Fûrtsori, un fusil à la main. Au fond du couloir, les cris des gardes résonnaient. Une aura noire, plus profonde qu’un trou noir, entoura Fûrtsori. Il prit son envol à travers la fenêtre qui vola en éclat.
Titubant, le samuraï noir mortellement blessé se dirigea avec difficulté vers une armoire...
Douze ans plus tard...
- Voilà comment Chô Funshi me sauva la vie, termina le moine Vidyâ Rin.
Le jeune garçon rencontré douze ans auparavant était devenu un jeune homme très combatif. Durant toutes ces années, il avait appris l’équitation, le maniement des armes et surtout la voie du samouraï. Il apprit toutes ces connaissances grâce au cheval de Chô Funshi, qui avait été envoyé pour le retrouver.
- Mais alors, d’où venaient ces deux démons ?
- De terres plus lointaines que le Japon. Ils arrivèrent ici en traître, sous la forme de perles divines, pour tromper les hommes. Kaori fut leur première victime. Et ce sont eux qui tuèrent toutes les autres personnes, Filinorô et mon père... Ils me firent prisonnier pour servir d’appât. C’était Chô Funshi qui était là pour nous garder de ces mauvais esprits. Mais il te reste encore à éliminer Fûrtsori, jeune samouraï. Et prends garde, car le Mal peut prendre des apparences sournoises. Il est très fréquent qu’il soit en notre compagnie tous les jours.
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